L'histoire de l'hôtel de ville de Saint-Martory
Saint-Martory compte sur son territoire de nombreux monuments et bâtisses remarquables : l’Hôtel de ville est de ceux-là. Bien que sa construction soit relativement récente (début XIXème siècle) son histoire, elle, est riche de nombreux rebondissements …
De part sa destination tout d’abord puisque de résidence privée, elle est devenue un bâtiment militaire pour finalement, aujourd’hui, être investie d’une mission de service public.
Par ailleurs, depuis sa construction, six propriétaires s’y sont succédés. Elle fut tour à tour la « Maison de Lorde », la gendarmerie de Saint Martory, la « Maison Casteret », une des propriétés de la RAP, de la Société des Etudes du Comminges et enfin la maison commune de Saint Martory.
Enfin, dernier élément historique (et non des moindres !) la façade de la salle capitulaire de l’Abbaye de Bonnefont qui a orné cette demeure pendant plus d’un siècle et qui, en son temps, fut la pièce architecturale majeure de cette propriété.
L’histoire de cette seule façade pourrait faire l’objet d’une étude puisqu’elle a mobilisé les passions pendant près de 150 ans. Je n’évoquerai ici qu’une partie mineure de son histoire puisque mon propos se concentre sur le bâtiment et non sur sa façade. Mais peut-on parler de l’un sans évoquer l’autre : je ne le crois pas !
1-La Maison de Lorde
Commençons tout d’abord par un peu d’histoire : celle des familles Lacombe et de Lorde à qui nous devons la construction de cette maison.
Norbert de Latour de Lorde est né le 6 juillet 1796 à Mazères-sur-Salat. Il est le fils de Jean Bertrand de Lorde (1753-1823), industriel «Marchand de papier» à Mazères/Salat et de Marie-Thérèse Bayon de Libertat (1766-1809).
C’est Norbert de Latour de Lorde (1796-1879) qui fit bâtir cette maison en 1834. Il était l’arrière grand-oncle de Norbert Casteret. Norbert de Latour de Lorde, titulaire d’un baccalauréat en Droit obtenu à l’Académie de Paris, devient avocat puis Chevalier du Saint-Sépulcre.
Le 05 Mai 1824, il épouse Jeanne Lacombe (1789-1848) fille de Simon Lacombe, qui cumulait à Saint-Martory les fonctions premier consul, avocat et juge de la temporalité de l’abbaye royale de Bonnefont.
Ce dernier était également propriétaire de « l’ancienne maison de Lorde » située sur la rive droite de la Garonne, Rue Alexandre Sahuc et de l’Abbaye de Bonnefont.
Si l’on compare les deux maisons de Lorde, « l’ancienne » sise sur la rive droite de la Garonne, Rue Alexandre Sahuc, et la « nouvelle », rive gauche, force est de constater que la ressemblance est évidente.
Il ne fait aucun doute que Norbert de Latour de Lorde s’est inspiré très largement de l’architecture de la maison de son beau-père pour construire la sienne (présence de deux tours implantées sur la partie arrière du bâtiment).
Au décès de Simon Lacombe, NLL et son épouse héritent de l’ancienne maison de Lorde et de l’Abbaye de Bonnefont. Abandonnée cette dernière fait l’objet de nombreux vols et fait office de fournisseur de matériaux pour nombre de constructions alentour.
Malgré ces actes de vandalisme, il reste à Bonnefont des pièces remarquables. Conscient de la valeurs de celles-ci, NLL tentera de les vendre à l’état et à la mairie de Toulouse : en vain.
En 1839, Nobert de Latour de Lorde, alors maire de Saint Martory, fit don à la fabrique de l’église de Saint Martory de plusieurs éléments de Bonnefont : le plus imposant est la porte romane qui orne aujourd’hui l’entrée de l’église. En même temps sont offerts une croix en raquette, la vierge de Lucas et une piéta en métal. En contre-partie de ces dons, NLL fit une demande particulière : « … Aussi, je tiens à honneur de pouvoir vous offrir le don de ce portique pour notre église à la condition qu’il sera dit une messe chaque année à perpétuité pour toute ma famille (demoiselle Eulalie Lacombe, dame Adélaïde Lacombe, mon épouse, mes deux enfants nos ascendants respectifs, nos descendants à venir et moi-même). »
Ce don a été accepté par le conseil municipal de Saint Martory le 23 décembre 1839.
Précisons que ces demandes de messes à perpétuité était chose courante à l’époque. Le Prince de Berghes, quelques temps plus tard fera la même demande à la mémoire de Mathilde de Marin, fondatrice, en 1867, de la première école de filles de Saint Martory.
Dans le même temps, Norbert de Latour de Lorde fit démonter la façade de la salle capitulaire de Bonnefont pour la faire remonter, après quelques aménagements et modifications, sur la façade sud de sa maison.
Aujourd’hui encore, ces dons et démontages successifs sont reprochés à NLL notamment par ceux qui ont mené des recherches archéologiques sur le site de Bonnefont comme Bernard Jolibert : « …On a longtemps considéré qu’il s’agissait de la façade intégrale démontée et reconstituée dans les règles de l’art, de la salle capitulaire de Bonnefont. Il est bien évident aujourd’hui que cet ensemble n’est qu’une reconstitution très fantaisiste, une aberration archéologique et architecturale. »
A cette époque, la maison de Lorde n’était constituée que par sa partie centrale (aujourd’hui la mairie). En lieu et place des ailes latérales existait un parc qui donnait un caractère monumental à l’ensemble.
Nobert de Latour de Lorde est décédé dans cette demeure le 1er juin 1879, il avait 84 ans.
2-La gendarmerie de Saint Martory
On ne connaît pas la date exacte de l’installation de la gendarmerie à cheval dans ce bâtiment mais celle-ci était déjà en place à la naissance de Norbert Casteret en 1897. Cette information a été donnée par Norbert Casteret lui-même à Monsieur René Bruguières.
La gendarmerie a quitté la maison en 1934.
3-La maison Casteret
Henry Casteret (1867-1931), père de Norbert achète la maison en 1877 à son oncle Simon de Latour de Lorde, fils de Norbert de Latour de Lorde.
Norbert Casteret (1897-1987) est né dans cette maison le 19 août 1897 dans la grande chambre au dessus du portail d’entrée. Il semblerait que le prénom de Norbert lui ai été donné en mémoire de l’arrière grand oncle.
Devenu rentier après la vente du château de Parc-Viel à Champignelles (Yonne), Henry Casteret et son épouse Esther (1873-1967) s’installent définitivement dans la maison Casteret en 1900.
Mais peu de temps après, Henry achète une maison à Toulouse (25, Rue de Fleurance) où la famille s’installe le temps que les fils suivent leurs études. Du coup, la maison Casteret devient la résidence secondaire de la famille et n’est plus occupée que pendant les vacances de Pâques et d’été (pour Noël, il y faisait trop froid !).
Sous la propriété de Henri Casteret, la maison eut (déjà !) quelques soucis avec sa façade …
En effet, en 1912 Henri Casteret vendit la façade à un antiquaire pour la somme de 10 000 Francs. La façade devait être transportée en Angleterre mais la population Saint-Martoryenne s’opposa à cette vente. Le conseil municipal dans sa séance du 23 mars 1913 demanda que ces vestiges soient classés comme monument historique. Le temps passa mais le classement n’aboutit point.
Le 19 août 1927, le Conseil municipal réunit en séance ordinaire apprend par le conservateur des monuments historiques de la Haute-Garonne de l’époque, M. Sales, qu’un devis a été demandé pour le transfert de la façade à Saint-Gaudens. Nouvelle levée de bouclier contre ce projet. Un généreux donateur offre 10000 francs de l’époque pour que la façade reste accolée à la gendarmerie. De nouveau, la commune demande que l’immeuble (et sa façade !) soient classés monuments historiques : nouvel échec. Seule la façade est inscrite sur une liste complémentaire de sites et de monuments pouvant faire l’objet d’un classement ultérieur.
En 1936, 5 ans après le décès de son mari Henry, Esther Casteret décide de vendre la maison familiale de Saint Martory. A cette fin, elle en rédige une description très détaillée: l’occasion de nous faire une idée précise de ce qu’était la maison à l’époque …
« L’immeuble mis en vente se compose de deux parties bien distinctes.
1) Une très belle et grande maison d’habitation.
2) De vastes locaux attenants, mais tout à fait indépendants, entrée spéciale pour chaque partie.
La maison d'habitation
La maison d’habitation, ornée de 42 colonnes en marbre, est surmontée de deux tours. Elle comprend: un hall de 27 mètres de longueur sur 3 mètres de largeur, avec deux arceaux et colonnes marbre. Un grand salon à 3 fenêtres, salle à manger, office, 6 chambres à coucher, cabinet de toilette, vestiaire, 2 chambres pour le service, lingerie, grande cuisine, arrière cuisine laverie, grande décharge à provisions attenante. Cave de 3, 80 m de hauteur sous l’immeuble, galetas sur le tout.
Véranda de 75 m2 dont le toit formant terrasse est supporté par 12 colonnes de marbre. A l’intérieur de la véranda, porte avec arcade en pierre sculptée et
colonnes marbre (1). Tout en parfait état de construction et d’entretien.
Toutes les colonnes de marbre, avec soubassements et chapiteaux sculptés, ainsi que le portail sculpté de la maison principale proviennent de la célèbre abbaye cistercienne de Bonnefont située à 9 km de Saint-Martory dont il ne reste plus que quelques vestiges en place.
Beau jardin planté de grands arbres, bosquet de chênes attenant. Garage pour deux autos. Chenil, grandes volières, pigeonnier. Eau de la ville, électricité. Tout est clôturé de murs ou de grillage. Le jardin en terrasse borde la route de Toulouse à Bayonne et la Garonne. La maison est en retrait de la route de 30 mètres.
Les dépendances
Les locaux, également en bordure de la route, forment deux corps de bâtiments, avec une immense cour intérieure où l’on accède par un porche monumental en pierres de taille.
Ces bâtiments se composent de cinq logements, dont 4 logements ont 4 pièces, et un logement en a 3, toutes pièces grandes et à feu, cave, galetas, jardin potager de 3 ares pour chaque logement. Buanderie et lavoir. …
4-Propriété de la RAP
En 1944, la RAP, entreprise de Recherches et d’Activités Pétrolières, achète la maison Casteret et ses dépendances. Celle-ci offrent 6 logements pour les ouvriers (qui auront plus tard la possibilité d’acheter leur habitation). La maison Casteret (partie centrale) reste inoccupée et commence peu à peu à se dégrader. Cette période de dégradation, véritable agonie de cette bâtisse remarquable, va durer quasiment 50 ans.
5-L’hôtel de Ville de Saint-Martory
Au cours de cette longue période d’abandon, la propriété de l’immeuble est transférée à la Société des Etudes du Comminges. L’objet de cette acquisition est clair : l’intérêt porte uniquement sur la façade et nullement sur la maison …
Le 19 août 1987, Norbert Casteret s’éteint à l’âge de 90 ans vaincu par une bronchite tenace. Un an plus tard, l’avenue du Gillon est rebaptisée Avenue Norbert Casteret : signe de reconnaissance de la population Saint-Martoryenne envers son illustre concitoyen. A cette occasion, Une plaque « Avenue Norbert Casteret » est scellée à gauche du grand portail d’entrée tandis qu’au fond de la cour sa maison natale dépérit peu à peu …
Au début des années 90, le toit de la maison s’effondre et tout l’immeuble menace ruine … (voir photo)
En décembre 1993, la Société des Etudes du Comminges décide de faire enlever la façade mais n’informe pas la municipalité de cette initiative. La population et le conseil municipal se mobilisent pour la troisième fois en 80 ans ! Un siège est tenu devant le portail empêchant les ouvriers de l’entreprise Louge de poursuivre le démontage. Cette mobilisation sera largement relatée par La Dépêche du Midi et fera même l’objet d’un reportage du journal télévisé régional de FR3.
Les travaux sont arrêtés. Dès lors, Paul Stuyck maire de Saint Martory (1989-2001) entame de nouvelles négociations avec le sous-préfet, Monsieur Patrick Férin, la Société des Etudes du Comminges et la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC).
Dans un arrêté du 14 juin 1994, le Ministère des affaires culturelles et du patrimoine classe la façade de la salle capitulaire de l’Abbaye de Bonnefont monument historique.
Désormais, l’intérêt est porté non plus sur la façade seule mais également sur l’immeuble. En effet, ce dernier menace de s’effondrer et d’anéantir la façade. Un projet de réhabilitation est évoqué …
Le 07 décembre 1996, La Société des Etudes du Comminges, réunie en assemblée générale extraordinaire, vote la décision de cession de la Maison Casteret à la commune de Saint Martory. Cette décision est votée à l’unanimité par les 38 votants présents[1].
[1] Acte de vente du 02/10/1997 rédigé par Maître Philippe Chappelet, notaire à Saint Martory.
Dans sa délibération du 23 janvier 1997, le Conseil Municipal de Saint Martory, approuve le projet d’acquisition de la Maison Casteret pour le franc symbolique étant entendu que la Société des Etudes du Comminges récupère la façade de la salle capitulaire de l’Abbaye de Bonnefont pour la remonter dans son endroit originel.[1]
Ces deux décisions scellent définitivement la séparation des deux immeubles. L’un sera réhabilité et deviendra l’hôtel de ville, l’autre (qualifié juridiquement d’immeuble par destination) rejoindra son site originel pour y être remonté.
Précisons ici que l’achat effectué par la commune de Saint Martory ne concerne que le bâtiment central, les bâtiments latéraux sont des propriétés individuelles privées.
Le projet initial de l’hôtel de ville est ambitieux : 2,8 millions de francs pris en charge par l’état (50%), la DRAC (15%) et par la commune de Saint Martory (35%).
Les services de la mairie seront installés au premier étage de l’immeuble sur 300m². Quant au rez-de-chaussée, sa destination première sera un hall d’exposition qui laissera sa place dans quelques temps au musée Norbert Casteret (dont le projet initial a été adopté à l’unanimité par le conseil municipal en décembre 2005).
Les travaux commencés à l’automne 1999 vont être arrêtés à de multiples reprises, le coût des travaux sera quant à lui revu à la hausse et les délais de livraison prévus initialement seront largement dépassés. Au final, les travaux ne sont achevés qu’à la fin du printemps 2004 et la nouvelle mairie ouvrira officiellement ses portes au public en juillet 2004.
[1] Cahier des délibérations de Saint Martory, archives communales.
Pour conclure
160 ans ! La façade de la salle capitulaire de l’abbaye de Bonnefont a attendu 160 ans avant de reprendre le chemin du Proupiary … Mais l’histoire n’est pas finie pour autant et les âmes nostalgiques sont nombreuses !
Même si le projet de l’hôtel de ville est incontestablement une belle réussite, le démontage de la façade fait toujours débat. En effet, si la commune de Saint Martory a respecté ses engagements en réhabilitant la Maison Casteret, les éléments de la façade de la salle capitulaire attendent toujours d’être remontés, entassés à Bonnefont tel les morceaux d’un puzzle dans leur boîte. Nul doute que cet état de fait contribue à alimenter la rumeur. Seront-ils remontés un jour* ? Nous l’espérons tous.
*Remontage réalisé en 2015.
Mais alors, fallait-il vraiment démonter cette façade ?
Si l’on se soustrait des aspects passionnels générés par cette affaire et si l’on se réfère à l’avis d’experts (archéologues et historiens) la présence de cette façade à Saint Martory ne se justifiait pas.
En 1862, Ernest Roschach qualifiait cet assemblage de « … mosaïque plus ou moins heureuse construite avec les débris de Bonnefont. »
Plus près de nous en 1992, Bernard Jolibert, déjà cité plus haut, considérait cette association comme une « …aberration archéologique et architecturale ».
Au regard de l’histoire donc, la décision prise par le Conseil Municipal de l’époque est sans aucun doute la meilleure. Elle a rendu la façade de la salle capitulaire à l’abbaye de Bonnefont et a sauvé la Maison Casteret des ruines tout en lui confiant une noble mission, celle d’accueillir en son sein tous ceux qui voudront bien se donner la peine d’y entrer.
Quant à l’initiative de Monsieur Norbert de Latour de Lorde, à vous de juger ! Mais nul doute que, comme moi, vous avez désormais une idée …
Sources :
- Archives communales de Saint Martory
- Saint Martyri ou Saint Martory – Sa vie, ses reliques, son culte, son église. Abbé Saint-Laurent, Curé-doyen de Saint Martory. 1902
- Revue du Comminges, Tome CVII – 3ème trimestre 1992
- Travaux de René Bruguières, 1985
- Pèlerinage familial, Sœur Marie Casteret, 2003
Remerciements :
Merci à Henri Samouillan pour ses conseils avisés et son écoute toujours attentive !
David GARDELLE, février 2007